Que serait la vie sans les rêves ? Je vous le demande.

1995 – Traversée de l’Atlantique Nord à la rame en solitaire.

De tout ce qu’on a pu me dire dans ma vie, cette phrase correspond à mon parcours. Elle m’a été assénée en 1997 lorsque j’envisageais de participer à une course à la rame à travers l’Atlantique avec un détenu, Pascal, 34 ans, 14 ans passés derrière les barreaux.
Et pour faciliter la chose, sur un bateau construit en prison par des détenus.
Bien sûr que je rêve.
Mais le rêve est devenu réalité puisque le bateau a été construit par des détenus de la Maison Centrale de Moulins, l’établissement le plus sécuritaire de France
34 bateaux au départ, des équipages provenant de 10 nations.
Pascal et moi avons terminés seconds.
Je rêve bien entendu, mais comment avancer sans rêver ?
Pour la petite histoire, sur le bateau vainqueur, un néo-zélandais, l’un des deux compères était policier. C’était bien la première fois qu’un détenu faisait tout son possible pour essayer de rattraper un policier… 🙂
Mes origines, l’île Molène, mon parcours à la voile sur les mers, m’ont poussé à tenter une traversée de l’Atlantique à la rame sur les traces de Gérard d’Aboville en 1995.
Je l’ai faite en 103 jours, pour les Sauveteurs en Mer, des Etats-Unis en Bretagne.
A l’île Molène, à l’époque de ma jeunesse, 2 balises dans la vie des habitants, l’église et le canot de sauvetage. Il m’a semblé évident que le molénais que j’étais (et que je suis toujours) porte les couleurs du symbole du lien social dans les ports de pêche, à fortiori dans une île, le canot de sauvetage.


1997 – Traversée de l’Atlantique Des Canaries aux Antilles en double.

Dans le livre qui raconte sa traversée du Pacifique Gérard d’Aboville écrivait avoir reçu des lettres de détenus qui l’avaient suivi. Sa traversée en solitaire d’un océan les avait aidés dans leur propre traversée dans le monde carcéral.
Gardé cela dans un coin de ma tête.
Peu avant de partir rejoindre mon bateau aux U.S.A, j’appelle la prison de Brest pour leur proposer de venir présenter mon projet de traversée.
Accord immédiat. Première visite en prison.
Cette traversée m’a fait découvrir la beauté de la lenteur et le fait d’être, sur un bateau à rame, beaucoup plus proche d’un océan qu’on ne l’est sur un voilier où le navigateur n’est qu’un intermédiaire qui doit gérer 2 couples, la coque et la quille d’une part, le mât et les voiles d’autre part.
De retour au pays, ma première visite a été pour la prison de Brest où je suis allé raconter ma traversée, ce qui, de fil en aiguille, m’a amené à faire 90 conférences dans les prisons françaises en 1996.
Expérience très forte.
Entretemps j’avais appris que Chay Blyth, co-auteur de la première traversée de l’Atlantique Nord à la rame en 1966, organisait en 1997 la première course à la rame en double sur un parcours météorologiquement clément, des Canaries aux Antilles.
Mes visites en prison ont fait germer dans mon usine à rêves l’idée d’une participation à cette course avec un détenu en fin de peine pour parler de la réinsertion et, tant qu’à faire, pourquoi pas sur un bateau construit par des détenus dans une prison ?
Alors que la conférence que je devais faire à la Maison Centrale de Moulins avait été annulée, cela perturbait l’organisation de l’établissement selon les gardiens, je fus reçu par le Directeur auquel je pus exposer mon projet de construction du bateau dans une prison.
Il m’écouta et me dit (je cite) : » C’est lumineux ! »
Il me proposa illico d’aller voir leur atelier bois pour voir si le bateau pouvait y être construit. A l’évidence oui. C’est parti comme cela.
Mais tu rêves Jo…


2000Tentative de traversée du Pacifique Sud à la rame en solitaire.

L’Homme est certainement insatisfait par nature.
Faisant partie de cette engeance, je le suis, comme tout un chacun.
C’est pourquoi après avoir ramé en compagnie des fous de bassan en Atlantique, l’envie m’est venue d’aller discuter avec les albatros. Ceux-ci vivant dans le Grand Sud, il me fallait trouver un trajet adapté. Tant qu’à faire, la version deluxe : Nouvelle-Zélande – le Cap Horn.
Un pur délire, mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Et tant qu’à aller ramer sur ces mers hostiles, autant le faire pour une vraie bonne cause, sensibiliser le public à la pollution des océans, mon bateau s’appellera Keep it blue.
Le naufrage de l’Erika, 2 mois avant mon départ, est venu confirmer, si besoin était, l’intérêt de ma démarche.
Une piqûre de quelque animal indéterminé, sur terre alors que je préparais mon bateau, dégénéra en infection qui dégénéra elle-même en gangrène ce qui me contraint à interrompre ma traversée à mi-parcours après 2 mois de mer. Je montais sur un des rares bateaux croisant dans ces parages plutôt hostiles et fus débarqué au Chili où l’on m’amputa de 8 orteils.
Les 2 derniers furent sacrifiés à l’hôpital de Brest.
J’avais été endormi pour refaire mes pansements. De retour dans ma chambre, encore à moitié dans le coaltar (pour reprendre une expression maritime) je reçus la visite du chirurgien qui venait de me refaire mes pansements. Avec un grand sourire il me dit : »Jo, je t’ai symétrisé.»
Je n’avais jamais imaginé pouvoir être symétrisé !
En fait, il avait jugé que le 2 orteils qui me restaient (et qui étaient abimés) allaient me gêner dans ma rééducation et par la suite dans ma façon de marcher, il a donc décidé de leur faire subir le même sort que les 8 premiers !
D’où la symétrisation !!
Si vous voulez entrer au coeur de cette histoire, embarquez pour 52 minutes dans le documentaire Combat Pacifique Emotions garanties !
De retour chez moi, 5 mois après le naufrage de l’Erika, devant laisser du temps à mes pieds pour se remettre d’aplomb et à ma tête pour se remettre à l’endroit, je me plongeais dans les conventions Fipol [les textes qui gèrent l’indemnisation des victimes des marées noires] pour essayer de comprendre de quoi était faite la sauce à laquelle allaient être mangées les victimes de l’Erika et aussi comprendre ce qu’il y avait de neuf au pays des marées noires depuis le traumatisme Amoco Cadix.
Cela prit quasiment 5 ans de ma vie, me valut quelques déboires et me permit de co-écrire un documentaire de 52 minutes sur l’histoire des marées noires depuis l’acte I de ces tragédies : le naufrage du Torrey Canyon le 16 mars 1967. Vous pouvez le visionner ou le télécharger en suivant ce lien : Marées noires, le naufrage des Droits de l’Homme.


2006Sénégal – Embouchure de l’Amazone à la rame en solitaire.

Mes aventures maritimes se poursuivirent en 2006 où le participais à une course à la rame en solitaire du Sénégal en Guyane.
J’avais appelé mon bateau “L’homme ou le marché” car à l’époque, quelques mois avant l’élection présidentielle, ce débat me semblait d’importance.
Un chavirage dans la barre au départ m’a fait prendre 2 jours de retard.
Je suis revenu au contact des premiers à mi-parcours mais me suis fait embarquer par un courant que l’on peut qualifier de contraire et me suis retrouvé coincé dans les mangroves brésiliennes à l’embouchure de l’Amazone. Fin de la course.


2011 La flotille de la liberté – Tentative de rejoindre Gaza.

En 2011 je participais à une opération internationale visant à rejoindre Gaza à partir d’Athènes, opération de solidarité avec le peuple palestinien.
L’ensemble de la flotte fut bloquée à Athènes par le gouvernement grec à la suite d’amicales pressions d’Israël, des Etats-Unis, l’ONU s’y est mise, de l’UE etc… Une vedette réussit à passer entre les mailles du filet en évitant Athènes. Je la rejoignais en Crête. Dans le but de récupérer 2 militants nous fîmes escale dans l’île grecque de Kastellórizo située à un jet de pierres des côtes turques. Pourquoi le gouvernement grec nous laissa passer alors qu’il avait bloqué l’ensemble de la flotte dont deux navires avaient été sabotés ? Nous n’en savons rien. Peut-être bien qu’au fond d’eux-mêmes ils n’étaient pas contre cette initiative de solidarité ? Toujours est-il que nous avons pu rejoindre les côtes égyptiennes. Après une nuit passée au mouillage au large de Port-Saïd nous nous sommes mis en route vers Gaza en restant dans les eaux territoriales égyptiennes.
A hauteur de El Arich nous vîmes en essaim de guêpes arriver vers nous. Des zodiacs de la marine israélienne. Un canon à eau se chargea de rassembler tout le monde dans la cabine de notre bateau. Impossible physiquement de rester sur le pont lorsque la colonne d’eau arrive sur vous. Les soldats montent à bord. Chacun de nous se retrouve avec un petit point rouge sur le front. Mis en joue. Transférés sur un plus gros navire genre frégate. Bien traités. Débarqués à Ashdod. 24 heures en cellule, puis mis dans un avion, direction Paris.
L’histoire de ce non-voyage à Gaza est racontée dans Gaza, carnet de non-voyage édité par Vertige Graphic.


2016 – Participation au court-métrage Le Large.

Au début de 2016, ma compagne posa ma candidature à un rôle de vieux marin échoué dans une cité HLM pour un court-métrage financé par Brest Métropole Habitat, l’organisme de gestion des logements sociaux de Brest et sa périphérie.
Je fus retenu et me voilà jouant le rôle d’Hervé dans Le Large.
Cela a du remuer des choses enfouies quelque part dans ma mémoire. Il ne faut jamais croire un marin lorsqu’il dit qu’il ne retournera jamais naviguer. J’en sais quelque chose, je me le suis dit quelquefois. La mer est sûre de nous reprendre un jour.


Projet de dérive atlantique.

Début avril 2016, lors d’un repas avec des amis, je parlais d’un de mes fantasmes, dériver dans l’Atlantique des Canaries aux Antilles sur une espèce de péniche qui ferait bar, épicerie, quincaillerie, boîte de nuit, où les voiliers en route pour les Antilles s’arrêteraient boire un p’tit coup ou acheter une clé de 17 avant de reprendre leur route.
Total délire.
Quelques jours passent, et me revient en mémoire un fait vieux de 21 ans qui s’est passé en 1995 lors de ma traversée de l’Atlantique Nord à la rame.
Il faisait beau. Mer calme. Je vis approcher de moi, ou plutôt moi d’elle une bouteille en plastique type 1,5l d’eau minérale. Elle flottait quasi debout car il y avait du liquide à l’intérieur.
Je l’attrapais par le goulot et allais la faire rejoindre ma poubelle lorsque je remarquais toute une activité sur la partie immergée : algues, tout-petits crabes, tout-petits poissons. Face à cette micro-explosion de vie je n’ai pas hésité longtemps. J’ai remis tout ce petit monde à l’eau accroché à sa bouteille plastique. Je le confesse sans regret.
21 ans plus tard, tel un diable sortant de sa boîte, cette bouteille s’inscrivit en fond d’écran dans mon champ visuel. Et là, tel Jake Blues dans les “Blues brothers”, je reçus l’illumination. Moi, ce n’était pas “L’orchestre !” mais “La dérive !”.
Nous allons dériver des Canaries aux Antilles pour observer, photographier et filmer le développement de la vie sur un mobile en déplacement lent à travers un océan et, tant qu’à faire, proposer à des scientifiques, s’ils y voient un intérêt, de prendre tout un tas de mesures de l’air et de l’eau, en surface et en profondeur tout au long du trajet.
Cette aventure humaine, maritime, scientifique devrait aussi pouvoir servir de support à une opération de sensibilisation des jeunes aux défis environnementaux auxquels ils auront à faire face dans leur vie d’adulte.
C’était dit. Il ne restait plus qu’à le faire.
Comme on dit en Bretagne : “Entre le dire et le faire, il y a la mer”.
Je ne l’ai pas fait.
Au bout de 3 ans d’efforts, je ne suis pas parvenu à convaincre les uns et les autres de l’intérêt de ce projet et ai du me résoudre à le laisser de côté.
Histoire de me changer les idées, je décidais de me pencher sur la chronologie des grandes découvertes maritimes. Vasco de Gama, Amerigo Vespucci, Fernand de Magellan…qui avait fait quoi et quand ? Je n’en savais trop rien, en tout cas pas assez pour répondre correctement à la précédente question.
Je me plongeais dans la littérature idoine et me rendis compte que le 8 septembre 2022, cela fera 500 ans que le Victoria, seul navire rescapé de l’expédition montée par Magellan, entrait à Séville, réalisant ainsi le premier tour du monde de l’histoire de l’humanité.
C’est ainsi que cette histoire commença…mais je rêve bien entendu.


2020 – Sur les traces de Magellan

Je n’ai pas fait que des traversées à la rame dans ma vie, j’ai parcouru quelques océans à la voile, en équipage ou en solitaire.
Un de mes plus beaux voyages à la voile a été New-York – San Francisco par le Cap Horn, sans escale. C’était en 1989 en compagnie de Anne Liardet qui est une des rares femmes à avoir passé le Cap Horn enceinte.
Et de plus, elle l’a passé dans le mauvais sens, de l’Atlantique au Pacifique, contre les vents dominants.
En avoir ou pas…écrivait Hemingway.
Elle a donné le jour à un p’tit gars qui s’appelle Morgan, « Né de la mer » en breton.
Ainsi va la vie…
Toujours est-il que je me suis embarqué dans l’idée de refaire le voyage de Magellan.

C’était compter sans le covid qui alla jusqu’à nous interdire de naviguer.
Dès qu’une accalmie apparut, je pris la mer à partir de l’Aber Ildut, à la pointe de la Bretagne, en solitaire sur un Dufour 2800, voilier de 8 mètres de long au mois d’octobre 2020, avec un an de retard sur Magellan.
Le Covid semblait avoir relâché la pression.
Lorsque j’approchais du Brésil, des problèmes de gréement m’obligèrent à relâcher à Fortaleza.
Les Brésiliens me rappelèrent que leurs ports étaient fermés à la navigation de plaisance.
Ils me donnaient 5 jours pour réparer, après, dehors.
Les ports argentins et chiliens n’ayant toujours pas réouvert à la plaisance, je renonçais et parti vent arrière en Guyane à Saint-Laurent du Maroni, d’où je rentrais en France.
Triste fin.
Je pourrais tenter de me consoler en me disant qu’à 73 ans, je suis allé à la voile en solitaire jusqu’au Brésil sur un bateau de 8 mètres, mais là n’était pas le but.
Ce lien mène à quelques messages expédiés du bateau lors de cette tentative, messages que vous pouvez retrouver avec l’ensemble du journal de bord sur Instagram.


2022 – A bicyclette.

A 74 ans on me diagnostiqua un cancer de la prostate.
Ablation en juillet 2022.
Au mois de novembre suivant, je me sentais bien, voire totalement énervé.
Le 7 décembre, histoire de me calmer, je pris mon vélo, mes 4 sacoches et une tente. Me voilà parti avec l’idée d’aller saluer la Méditerranée sans vraiment savoir si j’allais y parvenir. Ma vieille carcasse allait-elle tenir ?
Je l’ai vue, la Méditerranée, à Gruissan près de Narbonne le 5 janvier. Cool.
Ce voyage est présenté sur Polarstep.
Voyage en solitaire tandis que ma compagne, Klau, m’attendait à la maison.


2023 Plouarzel – Belgrade à vélo.

Comme je me sentais bien du haut de mes 76 ans et Klau pas mal non plus du haut de ses 68 ans [une gamine :-)], nous décidâmes de partir tous les deux à bicyclette, normale évidemment, jusqu’à Belgrade où vivait la fille de Claudine avec sa petite famille.
Le départ de Plouarzel eût lieu le 30 avril dernier. 73 jours plus tard, le 11 juillet, nous étions à Belgrade. Cool.
En suivant ce lien, vous trouverez quelques infos sur ce voyage qui est raconté au jour le jour sur Facebook.