6 décembre 2021
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N’importe quoi.
Il est fort probable que chacun(e) d’entre nous ait eu, au moins une fois dans sa vie, la sensation d’avoir fait n’importe quoi. Si le championnat du plus grand n’importe quoi venait à être organisé, je me porte candidat.
Cela s’est passé dans le Sahara, près de la frontière malienne en 1982.
A cette époque il était possible de traverser le Sahara en voiture. Le Sahara, quel trip ! Un autre type d’océan. Du sable et de la pierre. Aventure garantie tout au long du chemin. La recette pour financer un tel voyage : acheter en France une voiture d’occasion, une Peugeot de préférence, l’amener jusqu’en Afrique sub-saharienne pour la revendre. Avec un peu de chance on pouvait rentrer dans ses frais.
C’est ce que j’avais entrepris avec mon pote Dédé qui avait déjà fait le voyage, ma compagne Peggy et notre fils Swan âgé de 6 ans et demi. Nous avions un break 504, un break 404 et, erreur à ne pas faire, un fourgon J7. Pratique pour dormir et stocker du matériel le fourgon, mais trop bas de caisse pour un tel voyage. Enlisements garantis.
Le nombre de fois où nous avons pesté contre ce choix !
Alors que nous étions à environ 2 ou 3 heures de route de la dernière bourgade algérienne avant le Mali, achevant ainsi la partie algérienne de cette route qui nous avait fait passer par Béchar, Adrar et Reggane, nous voyons, arrêtés sur le bord de la piste, 3 camions Mercédès. Nous nous arrêtons.
Les rencontres ne sont pas si fréquentes dans ces parages. Ca n’avait pas de sens de passer sans s’arrêter. Les chauffeurs faisaient une pause. Thé, dattes, discussions, échanges.
Swan était fasciné autant par les camions que par les chauffeurs enturbannés. Le voyant admiratif au pied de son camion, un des chauffeurs prend Swan sous les bras pour le soulever, nous regarde pour demander notre accord que nous lui donnons d’un signe de tête et voilà notre Swan assis dans le camion.
Fier comme un bar-tabac, les fesses au bord du siège pour pouvoir atteindre l’imposant volant. Le chauffeur laisse Swan à sa fascination et revient boire le thé avec nous.
Quelques minutes plus tard, je vais le chercher et dois discuter ferme avec lui pour qu’il consente à descendre. A peine posé à terre, il part en courant voir les autres camions. Une petite demi-heure passe. Le courant était bien passé entre nous et les chauffeurs. Question de feeling.
Nous allions au même endroit, le village de Bordj Badji Mokhtar. Bordj signifie fortin en arabe. Badji Mokhtar est le nom de l’un des premiers chefs indépendantistes algériens, mort au combat en 1954.
Difficile d’être précis pour ce qui est du temps de trajet sur ce type de piste où les crevaisons ne sont pas rares. Comme cela fait belle lurette que la roue de secours a été utilisée, lorsque vous crevez vous vous arrêtez.
Cric. Démonter la roue. Enlever la chambre à air. La réparer. La remonter, la regonfler, remonter la roue. Ca ne prend pas 5 minutes. Souvent on en profite pour se faire un thé. Comme personne ne nous attend nulle part, pourquoi speeder ?
Toujours est-il que les camions et nous devions passer par Bordj Badji Mokhtar, route en convoi. Comment cela s’est exactement passé, je ne m’en souviens plus très bien. Ce que je sais et que je n’oublierai jamais c’est que Swan, avec notre accord bien entendu, est monté à bord d’un des camions pour rejoindre le Bordj…où nous allions le récupérer.
Un chauffeur l’avait proposé, Swan était aux anges.
Ses deux imbéciles de parents se sont regardés et ont dit pourquoi pas ? Puisque la piste menait à Bordj et que ça avait été cool avec les chauffeurs.
Quand les camions s’en vont, c’est un peu comme un bateau qui appareille. Le moteur démarre, le pot d’échappement crache noir, le chauffeur fait vrombir le moteur, puis le laisse ronronner au ralenti. Un regard échangé avec les autres chauffeurs et c’est parti. A tout à l’heure !
Nous rangeons notre matériel. On se roule une clope et on y va à notre tour. A peine partis, le J7 crève. On s’y colle. Quand on repart, les camions ne sont plus en vue bien entendu. Pas grave, on roule plus vite qu’eux, on va les rattraper.
On progresse…pas de camions. Peu avant d’arriver au Bordj une mini tempête de sable nous tombe dessus.
En mer ce que je trouve angoissant est de naviguer dans la brume dans des parages fréquentés ou mal pavés. Quoiqu’aujourd’hui avec tous les moyens dont nous disposons en mer, le niveau d’angoisse a considérablement baissé. Dans le désert, point de brume, mais visibilité zéro quand le sable pète les plombs et vous enveloppe. Super flippant.
Ca n’a pas duré très longtemps, mais suffisamment pour nous passer l’envie de refaire ce genre de rencontre. Entre la crevaison et le sable qui nous a tournoyé autour, du temps de perdu.
On finit par arriver au bordj au niveau de ce qui pourrait s’appeler le centre s’il y en avait eu un. Pas de camions.
Là, vous avez 2 parents qui se regardent sans un mot. Et sans comprendre.
On demande aux villageois s’ils ont vu des camions au cours de la dernière heure. Pas vu de camions.
Là, les 2 parents se regardent toujours sans un mot, toujours sans comprendre mais en sentant comme un poids peser de plus en plus fort sur leur poitrine qui se transforme en boule d’angoisse au creux de l’estomac. 2 ou 3 heures de route maximum, à priori une seule piste. Les camions devant. On crève. La mini-tempête de sable. Les camions ne peuvent être que là.
Pas de camions. Incrédules les parents. Blêmes les parents. Qui de sensé confierait son gamin de 6 ans et demi à des chauffeurs de camion parfaitement inconnus rencontrés sur les bords d’une piste en plein désert ?
2 personnes sur 6 milliards d’habitants, nous : moi et Peggy. L’angoisse. Du très grand n’importe quoi.
Que faire ? Rien. Qui appeler ? Personne.
Dédé, assis dans sa 504, peu loquace d’habitude, regarde dans le vide.
De toute façon il n’y a rien à dire, rien à faire.
Je ne sais plus si c’est une demi-heure, une heure ou une heure et demie plus tard, nous vivons un moment où le temps change de dimension, on croit entendre un moteur de camion. On entend un moteur de camion !!!
On entend le moteur de plusieurs camions !!! On voit les camions !!! Qui s’arrêtent près de nous.
Et Swan qui en descend avec la banane ! Dieu soit loué ! Allah Akbar !
Peu importe croyant, pas croyant, on remercie le ciel.
Ils avaient pris une autre piste dont on ignorait bien entendu l’existence, avaient eu un petit problème mécanique, avaient réparé, s’étaient pris la mini-tempête de sable et arrivaient la fleur au fusil dans une décontraction aux antipodes de la tempête qui rugissait dans nos crânes de parents complètement nazes.
Tout était bien qui finissait bien dans le meilleur des mondes.
On a récupéré notre Swan qui n’a sans doute pas compris pourquoi ses parents l’étreignaient aussi fort.
Amie lectrice, ami lecteur si tu entends parler d’un concours du plus grand n’importe quoi, laisse moi un message…